L'extraordinaire histoire de la météorite du Twannberg
La Météorite du Twannberg est la plus grosse météorite connue tombée en Suisse. Plus de 2000 fragments ont été retrouvés et leur analyse révèle une histoire absolument extraordinaire!
La chute de la métorite du Twannberg
Je vous invite à faire un bond en arrière de 176’000 ans. A cette époque, les paysages suisses existaient déjà. Les Alpes, le Moyen Pays et le Jura étaient présents comme on les voit aujourd’hui. La seule grande différence, c’était le climat. Il faisait froid, beaucoup plus froid. Nous étions en pleine période glaciaire et d’immenses glaciers recouvraient pratiquement toute la Suisse. Dans la région de Prêles, le glacier du Rhône, qui prenait sa source au coeur des Alpes, recouvrait le plateau de Diesse et venait buter contre les flancs du Mont Sujet et du Chasseral.
Imaginez-vous maintenant à Prêles, il y a 176’000 ans, à la fin d’une belle journée d’été. Le soleil vient tout juste de disparaître derrière le Jura. Le ciel est sans nuage, bleu et limpide. Le paysage est presque entièrement blanc. Le glacier est partout, vous avez les pieds posés sur la glace. Vers le nord vous voyez la crête allongée, rocailleuse et sans aucun arbre du Mont Sujet. Elle émerge à peine de la masse de glace qui l’entoure complètement. Le Mont Sujet paraît bien plus petit qu’aujourd’hui ! Vers la gauche, la longue crête du Chasseral, sans son antenne bien sûr, domine la surface blanche du glacier.
Il n’y a aucun bruit, c’est le calme absolu. Dans ce paysage glaciaire, à part la glace et la roche, il n’y a rien : pas de végétation, pas d’animaux, pas d’oiseaux, pas un seul insecte.
Tout d’un coup dans le ciel, vers le nord-est, une lueur apparaît. Une lueur d’abord minuscule, comme une étoile très brillante, qui se déplace à toute allure et qui laisse derrière elle, dans le ciel bleu, un nuage blanc, très fin et rectiligne. La lueur s’agrandit rapidement. On dirait maintenant une boule incandescente qui fonce vers la Terre.
Soudain, et sans un bruit, un énorme éclair blanc embrase l’atmosphère et le paysage, et vous aveugle pendant quelques secondes. Et puis plus rien, la lueur a disparu. Dans le ciel, il ne subsiste que le nuage allongé, éclairé par les derniers rayons du soleil couchant et qui peine à se dissiper dans ce jour sans vent. Et toujours ce silence…
Et tout d’un coup, BANG. Une explosion violente, assourdissante, accompagnée d’un souffle puissant, manque de peu de vous projeter à terre. Une succession de petites explosions se fait encore entendre, ça pétarade… et puis plus rien… à nouveau le silence… Dans le ciel, le nuage allongé disparaît peu à peu. Dans le paysage, rien n’a changé. Sauf peut-être là-bas, sur la surface du glacier, vous apercevez quelques petites colonnes de vapeur qui s’élèvent vers le ciel. Etaient-elles déjà là tout à l’heure ? Pas sûr…
Un astéroïde vient d’exploser dans l’atmosphère au-dessus du Jura et une pluie de météorites s’est abattue sur le Mont Sujet et sur le glacier.
Cette description de la chute de la Météorite du Twannberg est très largement inspirée de ce qui s’est passé à Tcheliabinsk, dans le sud de l’Oural en Russie le 15 février 2013. De nombreux témoignages vidéos se trouvent sur internet, je vous invite à visionner celle-ci, une compilation particulièrement complète et instructive :
Le temps des découvertes
176’000 ans plus tard, à Gruebmatt, au pied du Mont Sujet, Madame Margrit Christen est en train d’épierrer son champ lorsque soudain elle tombe sur un caillou étrange : il est assez gros, sa surface est complètement rouillée et surtout, il est lourd, très lourd. Il est bien plus lourd qu’un caillou ordinaire qui aurait eu la même taille. Nous sommes en 1984 et Mme Christen vient de trouver officiellement le premier morceau de la météorite tombée dans la région 176’000 ans plus tôt. Cette météorite est appelée Météorite du Twannberg, du nom d’un petit sommet très discret dans le paysage, situé entre le Mont Sujet et le lac de Bienne.
16 ans plus tard, en l’an 2000, un habitant de la région, Marc Jost, trouve par hasard un second morceau de cette météorite dans un grenier du village de Douanne ! Cette trouvaille transforme sa vie. Marc Jost se passionne dès lors pour ces objets tombés du ciel. Il devient au fil du temps un des chasseurs et collectionneurs de météorites les plus en vue de notre pays. Et il va se mettre à chercher obstinément d’autres fragments de la Météorite du Twannberg. Pendant 13 ans, il parcourt la région en tous sens avec son détecteur à métaux … sans rien trouver ! Mais sa persévérance finit par payer : en 2013, avec d’autres chasseurs de météorites, il trouve plusieurs beaux fragments à Gruebmatt, tout près du lieu de la première découverte.
Pendant ce temps, dans les gorges de Douanne, au fond du lit de la rivière, des chercheurs d’or y découvrent de nombreux petits fragments. Ils cherchaient des paillettes d’or, ils trouvent des débris de météorites !
Il devient alors de plus en plus clair qu’une pluie de météorites est tombée sur la région. Dès 2014, sous l’impulsion de Marc Jost et de Beda Hoffmann, le spécialiste suisse des météorites du museum d’histoire naturelle de Berne, des campagnes de recherches systématiques sont entreprises. Elles mobilisent des scientifiques et des dizaines de chasseurs de météorites. En 2015, des centaines de fragments sont découverts sur la crête du Mont Sujet. Les campagnes se poursuivent et les trouvailles s’accumulent au fil des années.
Jusqu’à aujourd’hui (état avril 2022), ce sont plus de 2000 morceaux de la Météorite du Twannberg qui ont été découverts. Ils sont répartis en trois zones bien distinctes :
1. Mont Sujet, c’est sur sa crête qu’on en a trouvé le plus ;
2. Gruebmatt, au pied du Mont Sujet, lieu de la première découverte en 1984 ;
3. Les gorges de Douanne, terrain de jeux des chercheurs d’or.
Qu'est-ce qu'une météorite?
Tout le monde a déjà aperçu une étoile filante. On les appelle étoiles, mais il ne s’agit pas d’étoiles. Ce sont de petits corps célestes, c’est-à-dire des débris de comètes ou d’astéroïdes. Il s’agit donc de pierres, de toute petite taille, de quelques millimètres à quelques centimètres de diamètre, qui voyagent dans l’espace à travers le système solaire. Lorsque ces pierres passent proche de notre planète, elles sont irrésistiblement attirées par sa masse et pénètrent à très grande vitesse dans l’atmosphère terrestre. Elles s’échauffent brutalement au contact avec l’air, leur trajectoire s’illumine un court instant, provoquant une étoile filante. Puis elles disparaissent, vaporisées, consumées par l’intense chaleur qu’elles ont subie.
Les corps célestes plus gros, eux, subissent le même sort, mais ils peuvent survivre en partie à la traversée de l’atmosphère et arriver jusque sur Terre. Ces cailloux qui tombent du ciel, une fois au sol, sont appelés météorites. Ils en tombent sur Terre, chaque année, des dizaines de milliers. Heureusement pour nous, il s’agit presque toujours de petits cailloux. Dans la grande majorité des cas, on ne se rend même pas compte que ces cailloux tombent du ciel. Ils atterrissent le plus souvent dans les océans, dans les déserts ou sur les calottes glaciaires du pôle Nord ou du pôle Sud.
Il est vrai qu’il y a parfois des cailloux bien plus gros qui foncent vers la Terre. Ils peuvent exploser en vol, comme ce qui s’est passé au-dessus du Jura il y a 176’000 ans. Dans le pire des scénarios, ils peuvent aussi violemment percuter la Terre avec des conséquences désastreuses et laisser d’immenses cratères d’impact. Mais ces événements-là sont extrêmement rares. Il n’y a donc pas vraiment de quoi s’inquiéter.
Deux météorites suisses découvertes grâce à celle du Twannberg
En Suisse on a répertorié jusqu’à aujourd’hui onze météorites : quatre ont été retrouvées juste après leur chute et les sept autres sont simplement des trouvailles, dont font partie les deux mille fragments de la Météorite du Twannberg.
En 2016, une météorite a été trouvée, et une autre déterminée, grâce à celle du Twannberg. Sur la crête du Mont Sujet, lors des campagnes de recherches sur la Météorite du Twannberg, parmi les centaines de fragments de cette météorite, on en a trouvé une complètement différente. On l’a appelée Météorite du Mont Sujet. Le Mont Sujet est donc une montagne sur laquelle sont tombées… deux météorites !
La découverte de la Météorite du Chasseron est une histoire un peu différente. Elle a été faite par une personne en 1958 lors d’une course d’école. Cette personne avait trouvé ce caillou bizarre et l’avait laissé traîner au fond d’un tiroir. En 2016, lorsqu’elle entend parler dans les médias des découvertes de la Météorite du Twannberg, elle se souvient de sa trouvaille, la ressort du tiroir, l’amène au musée de Berne, et on détermine qu’il s’agit bien d’une météorite !
Twannberg, une météorite exceptionnelle
Après analyse, la Météorite du Twannberg s’est révélée être exceptionnelle. D’abord parce qu’il s’agit d’une météorite de fer métallique, un matériau inexistant à l’état naturel à la surface de la Terre. Ce type de météorite est rare : il ne représente que le 5 % de l’ensemble des météorites connues sur la planète (on en a recensé jusqu’à aujourd’hui environ 70’000). Mais il y a mieux : elle fait partie d’un sous-groupe particulier de ce type de météorite, dont on ne connaît que 5 autres exemplaires à la surface de la Terre : deux aux Etats-Unis, deux au Chili et un en Afrique du Sud. Ces six fragments de météorite ont la particularité de contenir un taux de titane bien inférieur aux météorites de fer habituelles : 4.1 à 4.9 %, contre environ 8% la plupart du temps.
La Météorite du Twannberg est aussi une météorite exceptionnelle de par son poids et sa taille. Si on réunit tous les fragments trouvés jusqu’à présent, elle pèse environ 150 kg. Mais au moment de rentrer dans l’atmosphère, avant qu’elle se fasse consumer au contact de l’air et qu’elle explose, quelles étaient ses dimensions? Les études suggèrent qu’elle devait faire, au minimum, 4 mètres de diamètre pour un poids de 250 tonnes. La Météorite du Twannberg appartiendrait donc aux plus grandes météorites de fer connues dans le monde.
Mais peut-être que la chose la plus extraordinaire, si on compare la Météorite du Twannberg à des roches de notre planète, c’est son âge. Elle est non seulement bien plus vieille que toutes les roches qu’on trouve en Suisse, mais elle est encore plus ancienne que toutes les roches terrestres. La Météorite du Twannberg à l’âge de la Terre, elle a l’âge du système solaire ! Elle a 4.56 milliards d’années !
Les analyses en laboratoire ont encore pu déterminer un âge supplémentaire. C’est celui du temps passé par la Météorite du Twannberg dans l’espace interplanétaire (scientifiquement on nomme cet âge «âge d’exposition»). Il est de 182 millions d’années.
Si on résume, on connaît trois âges pour la Météorite du Twannberg :
1. 4’560’000’000 (4.56 milliards) d’années : âge de sa formation.
2. 182’000’000 (182 millions) d’années : âge de son vol dans l’espace.
3. 176’000 ans : âge de sa chute
Ces trois âges permettent de reconstituer son histoire.
L’histoire de la météorite du Twannberg
4.56 milliards d’années, c’est non seulement l’âge de la Météorite du Twannberg, mais c’est aussi l’âge de notre planète, la Terre, et c’est aussi l’âge du système solaire, c’est-à-dire de notre soleil et de toutes les planètes qui gravitent autour. Que s’est-il donc passé il y a 4.56 milliards d’années ? On peut essayer de se le représenter.
Il y a un peu plus de 4.56 milliards d’années, un immense nuage, très léger et très diffus, constitué surtout de poussières et de gaz, flottait dans l’espace. L’explosion d’une étoile proche le déstabilise. Il commence à se contracter, à s’effondrer vers son centre, tout en tournant sur lui- même de plus en plus rapidement, prenant la forme d’un disque gigantesque. Une très grande partie de sa matière se concentre au centre du disque. La température augmente, atteint rapidement des millions de degrés et des réactions thermonucléaires se déclenchent. Une intense lumière apparaît. Une étoile est née, c’est notre soleil.
Les gaz et les poussières restés à la périphérie du disque, tout en tournant autour du soleil, se cognent, se rentrent dedans, s’agglomèrent en objets de plus en plus gros. Les planètes, petit à petit, apparaissent. Mercure, Vénus, Terre et Mars, ces planètes rocheuses, petites, se forment proche du soleil. Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, les planètes gazeuses géantes, se forment elles, un peu plus loin.
Maintenant, si on regarde entre Mars et Jupiter, que voit-on ? Des millions d’astéroïdes qui tournent, eux aussi, en orbite autour du soleil. Ils ont arrêté de s’agglomérer. La présence proche de l’immense planète Jupiter empêche tous ces astéroïdes de se réunir pour former la neuvième planète du système solaire. Ces astéroïdes sont de toutes tailles, allant de grains de poussière à des diamètres de plusieurs centaines de kilomètres. Ils forment, entre Mars et Jupiter, ce qu’on appelle la ceinture d’astéroïdes.
Au moment de leur formation, les plus gros astéroïdes, sont tellement chauds, qu’ils sont de véritables boules de magma, comme l’est d’ailleurs, elle aussi, la planète Terre. Et comme la planète Terre, ces astéroïdes subissent avant de se refroidir, une différenciation. Les éléments lourds, surtout le fer contenu dans le magma, coulent et se concentrent au centre des astéroïdes pour former un noyau de fer métallique. Une fois ces gros astéroïdes refroidis, leurs noyaux de fer se trouvent piégés en profondeur, séparés de la surface par une épaisse couche de roches, de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres selon la taille de l’astéroïde.
Coup de billard cosmique
C’est le noyau métallique d’un de ces gros astéroïdes qui est à l’origine de la météorite du Twannberg. Si le début de son histoire, il y a 4.56 milliards d’années, paraît bien mouvementé, ensuite il ne se passe plus grand-chose. Il ne se passe même plus rien pendant une éternité. Cet astéroïde, une fois refroidi, avec les millions d’autres de la ceinture d’astéroïdes, tourne autour du soleil, régulièrement, immuablement, pendant plus de 4 milliards d’années. Rien ne semblait pouvoir perturber cette mécanique astronomique et pourtant…
Soudainement, un coup de billard cosmique, comme il s’en produit de temps à autre, projette un corps céleste sur notre astéroïde. Il le percute violemment et le pulvérise. Le choc est d’une telle violence que le coeur même de l’astéroïde est brisé. Des morceaux de son noyau métallique sont libérés, quittent la ceinture d’astéroïdes et se mettent à flotter dans le vide interplanétaire. C’était il y a 182 millions d’années.
Il faudra ensuite attendre 182 millions d’années, pour qu’un beau jour, un de ces morceaux métalliques se déplaçant dans le système solaire au gré des forces gravitationnelles, croise l’orbite de la Terre, pénètre dans son atmosphère, explose juste avant son impact et arrose le Mont Sujet et ses environs d’une pluie de fer métallique. C’était il y a 176’000 ans.
Connaissant l’histoire de la Météorite du Twannberg, on peut maintenant prendre conscience de l’incroyable concours de circonstances qu’il a fallu pour que des fragments métalliques du coeur d’un astéroïde, formés il y a très longtemps, dans une région si éloignée de notre planète, tombent un jour sur Terre. Et qu’on puisse retrouver ces milliers de fragments ici, en Suisse, sur le Mont Sujet en plein coeur du Parc Chasseral !
Ce texte sur la météorite du Twannberg ne peut pas être reproduit sans le consentement de l’auteur, Thierry Basset. Il reprend en grande partie celui du soundwalk géologique produit par le Parc Chasseral et qui s’est tenu sur la commune de Prêles les 17 et 18 juin 2022 et le 24 juin 2023.
Où voir la météorite du Twannberg ?
Au museum d’histoire naturelle de Berne: il n’y a actuellement qu’un fragment exposé, mais un projet pour 2023 prévoit une nouvelle vitrine avec plusieurs fragments et des explications.
Au musée d’histoire naturelle de Fribourg.
A la commune mixte du plateau de Diesse, il y a plusieurs météorites exposées dans les halls d’entrée du Battoir et du complexe communal du Cheval Blanc !
Au musée cantonal de géologie à Lausanne, on peut y voir une jolie sélection d’une vingtaine de météorites de toutes sortes et structures, dont des météorites éjectées par des impacts sur la Lune, Mars et sur le gros astéroïde Vesta (mais la météorite du Twannberg n’est pas présente). Et puis surtout, on peut librement toucher une météorite ferreuse namibienne de 125 kg et une météorite pierreuse du Sahara de 13 kg.
Remerciements:
A M. Beda Hoffman du museum d’histoire naturelle et de l’université de Berne qui m’a accueilli dans son bureau pour répondre à toutes mes questions sur les météorites. Il m’a également fourni toute la littérature scientifique sur la météorite du Twannberg et m’a aimablement autorisé à publier quelques images dans ce blog.
A M. Marc Jost, chasseur de météorite qui, en me recevant chez lui un jour de juin 2020, m’a ouvert d’un seul coup au monde fascinant de ces objets tombé du ciel!
A Thomas Schüpbach, photographe, pour m’avoir autorisé à publier la photographie de la météorite du Chasseron.
Pour en savoir plus sur la météorite du Twannberg:
Il y a ce site internet sur l’exposition qui a eu lieu en 2016 au museum d’histoire naturelle de Berne: https://www.twannbergmeteorit.ch/index_fr.html
Sources:
Anand A. et al. (2022) IIAB and IIG meteorites originated from a single parent body. 53Rd Lunar ans Planetary Science Conference.
Hoffmann B.A. et al. (2009) The Twannberg (Switzerland) IIG iron meteorites : mineralogy, chemistry and CRE ages. Meteoritics & Planetary Science 44, n°2, p. 187-199.
Smith T. et al. (2017) The cosmic-ray exposure history of the big iron Twannberg (IIG) meteorite. Meteoritics & Planetary Science 52, n°10, p. 2241-2257.
Smith T. et al. (2019) The constancy of galactic cosmic ray as recorded by cosmogenic nuclides in iron meteorites. Meteoritics & Planetary Science 1-26.