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Carrières de molasse sous-lacustres à Genève

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Carrières de molasse sous-lacustres à Genève

Le printemps dernier, quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir depuis le bord du Léman à Cologny (Genève), des traces d’exploitation sous-lacustre de molasse. Cela faisait des décennies que je passais à cet endroit, à vélo, en bus et en voiture, je savais que des exploitations sous-lacustres existaient au fond du lac dans la région, mais c’est pourtant la première fois que je les apercevais. Beau moment d’émotions!

La molasse comme matériau de construction

Qui n’a pas déjà entendu parler de molasse monde connaît, où croît connaître, en Suisse romande. La molasse a très souvent servi? Voilà un terme géologique que tout le comme pierre de construction pour ériger les vieilles villes et les nombreux édifices prestigieux du Moyen-Pays: la cathédrale de Lausanne, l’Hôtel de Ville de Fribourg, le Palais Fédéral à Berne…. C’est pourquoi le grand public associe généralement la molasse à cette roche tendre constituée de grains de sable mal cimentés entre eux (appelé grès par les géologues), le plus souvent verdâtre, parfois rougeâtre, généralement assez terne et donnant cet aspect si austère à nos bâtiments historiques.

De très nombreuses carrières de grès molassiques ont été exploitées ces derniers siècles sur l’ensemble du Plateau suisse. Les blocs étaient extraits à ciel ouvert et parfois en galerie. Quelques-unes de ces carrières sont encore en activité, notamment dans le canton de Berne et de Fribourg. La molasse peut avoir des caractéristiques très variables au niveau de sa dureté (et donc de sa résistance au gel, aux eaux de ruissellement et aux attaques de la pollution), de sa couleur et de sa texture selon sa provenance. Par exemple au niveau de la couleur, on peut facilement distinguer la molasse genevoise, bariolée dans les tons lie de vin (temple de la Fusterie), la molasse lausannoise grise (cathédrale) et la molasse bernoise plutôt verte (palais fédéral).

Des carrières de molasse sur le fond du lac à Genève.

La molasse, sur les rives du Léman, a aussi été exploitée en excavation sous le niveau du lac dès le Moyen-Age. Le premier témoignage de telles exploitations nous est livré par le tableau de Konrad Witz (1400-1445), La Pêche miraculeuse, qui a marqué l’histoire de l’art. Il s’agit en effet du premier paysage réaliste de la peinture européenne avec une scène biblique transposée dans la rade de Genève. En arrière-plan on y voit le Mont-Blanc ainsi que (de gauche à droite) les Voirons, le Môle et le Petit Salève. A droite du Léman et de la scène biblique, on distingue les bases en pierre du château de l’Île et des maisons sur pilotis construites dans le prolongement du pont. Sous le niveau du lac on devine en transparence les excavations faites pour extraire des blocs de molasse.

Witz 1444, carière de molasse sous lacustre
"La Pêche miraculeuse" de Konrad Witz, tableau exposé au musée d'Art et d'Histoire de la ville de Genève. En bas à gauche du tableau (flèches), les traces des exploitations sous-lacustres de molasse.

Dans les textes, c’est semble-t-il le voyageur anglais Addison qui décrit pour la première fois en 1702 ces curieuses structures sous-lacustres après avoir navigué sur le Léman.

«Il y a près de Genève plusieurs carrières de pierre de taille qui s’étendent jusqu’au-dessous du lac. Lorsque les eaux sont très basses on fait au dedans de ses bords un carré entouré de quatre murailles (=digues). Dans ce carré on creuse une fosse et l’on y fouille pour chercher la pierre, les murailles empêchant que les eaux n’y rentrent… On voit, en passant en bateau, plusieurs fosses profondes qui ont été faites en divers temps.»

F.-A. Forel a pu mesurer deux excavations 90 cm plus bas que l’étiage du lac, lui-même 3 mètres au-dessous du niveau moyen du lac! Les carriers d’autrefois ne manquaient pas d’audace, probablement parce que cette molasse devait être de très bonne qualité et très recherchée. Mais ces carrières étaient probablement toujours exploitées à pieds secs puisqu’à l’époque, avant la construction du barrage du Pont de la Machine à Genève à la fin du 19e siècle, le niveau du lac descendait à l’étiage jusqu’à la côte 370 mètres (alors qu’aujourd’hui le niveau du lac est régulé et ne descend, une fois tous les quatre ans, qu’à 371.5 mètres). Les carrières sous-lacustres étaient alors presque émergées. Et en période de hautes eaux, l’eau n’y pénétrait pas à cause des batardeaux montés autour des fosses d’extraction.

On connaît des sites d’extraction sous-lacustres en bordure du Léman au Reposoir et à Cologny (près de Genève), à Coppet, à Founex et à Pully. Elles sont assez facilement repérables depuis les airs, et pour ça Google Earth nous permet de bien les repérer.

Carrière de molasse sous lacustre au reposoir
Vue aérienne des carrières sous-lacustres de molasse du reposoir proche de Genève ©Google Earth

En 1971, des plongeurs explorent la carrière du Reposoir à Genève. Ils y observent une exploitation en gradins à l’intérieur des grands trous d’excavation, des marques de scie bien visibles sur la molasse et des moellons abandonnés à environ 5 mètres de profondeur. Un peu plus loin vers le large, là où la profondeur du lac passe abruptement à 15 mètres, des anneaux métalliques scellés dans la roche et de vieilles chaînes indiquent très probablement le lieux où les barques s’amarraient en attendant de charger les moellons.

S’il n’y a plus de carrière de molasse exploitée sur le canton de Genève depuis belle lurette, 500 m3 de molasse de très bonne qualité ont été extraits lors de travaux effectués au Jardin Botanique en 2010. Ce matériau typique de la région permettra la rénovation future de bâtiments prestigieux de Genève.

Les carrières sous-lacustres de Cologny

Les carrières sous-lacustres de Cologny, situées au large de Montalègre, sont bien visibles depuis le bord du lac. Il suffit de s’y arrêter et d’observer.
Carrière de molasse ous lacustre de Cologny
Traces sur le fond du lac des carrés d'excavation d'où on extrayait des moellons de molasse
Carrière de molasse ous lacustre de Cologny
Restes des exploitations sous-lacustre de la molasse à Montalègre vue depuis le bord du lac.
Vue aérienne de la carrière de molasse sous lacustre de Cologny
Les carrières sous-lacustre sont également visibles en photos aériennes. Ici partiellement recouvertes par un gros tas de cailloux. ©Swisstopo

Sources:

Belles et utiles pierres de chez nous (1999) de Michel Sepfontaine et Stefan Ansermet, musée cantonal de géologie, Lausanne, 48 p..

Pierres de Genève, découvrir la ville par la pierre de ses constructions (2021) de Walter Wildi et Danielle Decrouez, section des Sciences de la Terre et de l’Environnement, Université de Genève, 36 p. en accès libre sur les archives ouvertes de l’université de Genève.

 
 
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