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Randonnée d’iceberg en iceberg

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Randonnée d’iceberg en iceberg

Imaginez marcher entre des icebergs sur un lac gelé. Ou pique-niquer au sommet d’un iceberg. Ou encore traverser de part en part ces énormes blocs de glace par des grottes glaciaires. Nous avons réalisé cette randonnée insolite avec deux groupes lors de mes voyages en Islande de février 2023. Une expérience exceptionnelle !

Le glacier Heinabergsjökull et son lac

Le mercredi matin 22 février, nous partons tôt de notre hébergement situé sur la côte sud de l’Islande. Nous embarquons dans deux gros véhicules tout terrain. Ils nous permettent de rouler sans encombre sur la difficile piste qui mène au lac d’Heinabergslón après avoir quitté la route numéro 1.

Ce lac proglaciaire se situe au bout du glacier Heinabergsjökull. Celui-ci fait partie de la trentaine de langues glaciaires qui descendent de l’immense calotte du Vatnajökull. Celui-ci est considéré comme un des plus grands glaciers d’Europe. Sa superficie d’environ 7’700 km2 (données 2019) est souvent comparée à tort avec celle de la Corse (8’722 km2). Ses nombreuses langues glaciaires ont atteint un maximum d’extension vers 1890, à la fin de la période froide appelée «Petit Age Glaciaire». Commencée aux alentours de 1500, elle a permis aux glaciers islandais d’atteindre une longueur inégalée depuis le Moyen-Age, et peut-être même depuis environ 10’000 ans. Mais depuis la fin du 19e siècle, à cause du changement climatique, toutes les langues glaciaires du Vatnajökull sont en régression de plusieurs kilomètres.

 
Carte de l'Islande - Google Earth
L'Islande, avec la situation du Vatnajökull et du Heinabergsjökull (image Google Earth).

Le glacier Heinabergsjökull ne fait pas exception à cette règle. Il a reculé de 2 à 3 kilomètres depuis 1890. Sa masse de glace ne fond cependant pas de manière homogène. En effet sa partie sud a beaucoup moins reculé que sa partie nord. Pour plusieurs raisons. 1) Une couverture de roches et de poussières (moraine médiane) recouvre sa partie sud et le protège de la fonte. 2) L’ombre de la montagne située au sud du glacier (Hafrafellsháls) protège la partie du glacier située à son pied. 3) Il y a peut-être une troisième raison: une alimentation en glace importante de sa partie méridionale, couplée à des pentes topographiques fortes (et par conséquent à un écoulement plus rapide) situées assez proche du front glaciaire.

C’est donc surtout le recul de la partie nord de la langue de glace de Heinabersjökull qui est à l’origine du lac proglaciaire. Ce recul est effectif depuis la fin du Petit Age Glaciaire, mais le lac n’est apparu que depuis le début des années 1950. A noter que le Heinabersjökull et son grand voisin le Skalafellsjökull se touchaient encore en 1947, à l’extrémité de la montagne Hafrafellsháls. Le lac proglaciaire s’est donc développé entre le front glaciaire actuel, les deux versants de la vallée et les importantes moraines formées là où le front glaciaire était encore présent dans les années 1940.

 
La langue glaciaire d'Heinabergsjökull
La langue glaciaire d'Heinabergsjökull et son lac proglaciaire Heinabergslón (image Google Earth de 2016).

Le lac Heinabergslón, un futur sandur

Depuis un peu plus de 2 millions d’années, durant l’ère glaciaire actuelle, les très nombreux flux et reflux de la langue de glace ont creusé la vallée dans laquelle s’inscrit le glacier. Quant à la dépression du lac, elle s’est creusée lors de la dernière avancée glaciaire du Petit Age Glaciaire. Elle fait environ 180 mètres de profondeur. L’altitude du lac étant à environ 100 mètres, son fond se situe donc très nettement en dessous du niveau marin.

Sandur islandais
Un des nombreux sandur (plaine fluvio-glaciaire) de la côte sud de l'Islande.

Les eaux du lac sont brunes en été, car chargées en sédiments amenés par les eaux de fontes du glacier. L’apport constant de sédiment dans le lac finira par le remplir et il se transformera un jour en une grande plaine fluvio-glaciaire (appelée sandur en islandais). Son exutoire, au sud-est, laisse filer à travers les moraines une rivière glaciaire qui rejoint celle du glacier voisin Skálafellsjökull. Après avoir parcouru une dizaine de kilomètres, les eaux glaciaires se jettent dans celles de l’Océan Atlantique Nord.

Marcher sur la glace

Heinabergslón gèle la plupart des hivers. Si l’épaisseur de glace est suffisante, il est possible de s’y aventurer avec des guides formés à cet environnement très particulier (il faut absolument éviter d’aller seul ou sans guide compétent sur les lacs gelés). Lors de notre arrivée au lac, en février dernier, les guides ne savaient pas encore s’il était possible d’y marcher. Ils sont partis tester la glace avant de nous autoriser à nous y aventurer. Une broche de glace de 21 cm de longueur, plantée à la surface du lac n’avait pas pu atteindre l’eau. On pouvait y aller, en laissant toujours quelques mètres de distance entre nous.

Vue de Heinagerslon
Le lac gelé de Heinabergslón.

Les premiers pas sont toujours angoissants… le temps de prendre confiance. Si tout était absolument calme lors de la randonnée avec le premier groupe, il n’en a pas été de même avec le second groupe. Plusieurs jours consécutifs avec des températures nettement supérieures à 0°C avaient précédé notre randonnée. Le lac gelé était moins stable et ça s’entendait : des détonations sourdes, brèves, parfois assez fortes semblaient surgir de sous nos pieds ! On a d’abord cru à des craquements de la surface glacée du lac… mais selon nos guides, il s’agissait plutôt de mouvement d’eau. Une chose était cependant sûre : le lac était moins stable que la première fois. Cela nous a contraints à ne pas nous avancer trop loin sur le lac et à écourter notre randonnée.

Randonnée sur le lac gelé de Heinabergslon
C'est parti pour une randonnée exceptionnelle!

Des icebergs stables

Durant l’été, la langue de glace très crevassée, en se jetant dans le lac, se met à flotter et à se fragmenter, vêlant de gros icebergs. Ceux-ci dérivent à la surface du lac, en fonction des courants et des vents. Leur partie émergée est soumise au soleil, à la pluie, aux vents, et fond plus rapidement que leur partie immergée. Celle-ci flotte dans de l’eau douce toujours proche de 0°C, même en été. L’iceberg remonte très lentement au fur et à mesure de sa fonte pour toujours garder environ 1/9 de son volume hors de l’eau. Dans un tel contexte, les icebergs sont relativement stables et se retournent assez rarement.

Le glacier Heinabersjökull
L'extrémité du glacier Heinabergsjökull, très crevassée.
Gros iceberg sur Heinabergslon
Marche au pied des icebergs.
Dans la fissure d'un iceberg (Heinabergslon)
Dans la fissure d'un iceberg.

Icebergs et grottes de glace

Les icebergs sont parfois transpercés de grottes de glace. Celles-ci apparaissent sur le glacier grâce à l’eau de fonte qui creuse des chenaux (appelés bédières en glaciologie), des dépressions, des puits verticaux (appelés moulins) et finalement des grottes glaciaires. Sur les langues de glace, les grottes glaciaires évoluent rapidement dans leur morphologie, voir disparaissent après un certain temps à cause du mouvement incessant de la glace. Mais lorsqu’elles sont sur un iceberg, elles ne sont plus soumises à ces contraintes et peuvent subsister plus longtemps. Seuls la fonte, ou un retournement brutal de l’iceberg les font disparaître.

Grotte de glace dans un iceberg de Heinabergslon
Traverser un iceberg par une grotte de glace.
Iceberg et fenêtre glaciaire sur Heinabergslon
Gravir un iceberg, pénétrer dans une de ces grottes de glace et profiter de la vue sur le lac gelé!

L’hiver, les icebergs sont figés dans la glace et encore plus stables qu’à l’accoutumée. Le front glaciaire n’avance presque plus, bien que nous ayons observé des déformations compressives de glace à la surface du lac ou sur la bordure de certains icebergs. Ces déformations sont probablement dues à l’avancée du front glaciaire qui pousse sur la surface du lac gelé et sur les icebergs, provoquant la fracturation et le chevauchement de plaques de glace.

Iceberg et plaque de glace chevauchante sur le lac gelé de Heinabergslon
Des plaques de glace qui chevauchent des icebergs, témoins du mouvement de la glace, même en hiver.

La randonnée hivernale sur ce lac gelé, d’iceberg en iceberg, est absolument extraordinaire. C’est une expérience hors du commun qui se fait dans un environnement naturel grandiose et en dehors des circuits touristiques. Nous n’y avons rencontré aucun autre touriste et nous devions très probablement être les deux seuls groupes à avoir effectué cette randonnée cet hiver. Nous avons été chanceux, car la météo a été bonne et l’hiver suffisamment rigoureux. Il a permis de faire geler le lac avec une épaisseur de glace permettant d’y marcher en toute sécurité. Ce n’est pas le cas chaque année, car contrairement aux idées reçues, l’hiver sur la côte sud de l’Islande, baignée par le courant du Gulf Stream, n’est pas plus rigoureux qu’à Genève…

Remerciements:

A Laurent Jegu, guide de glacier installé en Islande depuis 2005, est à l’origine du programme des voyages GEOL réalisés en février 2023 sur la côte sud de l’Islande. Il a aussi été chauffeur et guide durant les deux voyages de l’hiver 2023.

A Matthildur Filippusdottir Patay de l’agence Fjallabak pour l’organisation parfaite de ces voyages.

A Óskar Arason, guide de glacier et responsable de l’agence www.iceguide.is.

Images:

Vous trouverez plus d’images de ces deux voyages sur la page Photos de mon site internet.

Recommandations:

Si vous désirez réaliser cette magnifique randonnée, ne le faites pas seul, sur aucun des lacs proglaiciaires d’Islande. Pour votre sécurité, il faut toujours vous faire accompagner par des guides compétents. Prenez le temps de voyager et d’explorez la région des glaciers sur la côte sud de l’Islande. L’agence www.iceguide.is vous fera découvrir des coins incroyables en dehors des sites touristiques habituels et surbondés, même en hiver.

Sources:

David J.A. Evans, 2016, Vatnajökull National Park (South Region), Guide to a glacial landscape legacy, Durham University, VATNAJÖKULSÞJÓÐGARÐUR.

Helgi Björnsson, 2017, The glaciers of iceland, a historical, cultural and scientific overview. Atlantis press, Atlantis Advances in Quaternary Science.

Guðfinna Aðalgeirsdóttir et al., 2020, Glacier changes in Iceland from ~1890 to 2019, Frontiers in Earth Science, vol. 8, article 523646.

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